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les hommes de ma vie - Page 5

  • On va aux champignons ?

    c2d89cac4241f52dea9550d1e8bd3e1b.jpgCe matin, remplissant mes poumons d’autant d’oxygène que je pouvais en trouver sur le boulevard des Maréchaux, avant d’attaquer la côte de la poterne des Peupliers, je fus titillée par une odeur familière. Une odeur de feuilles mortes mouillées et de sous-bois moussu.

    Je me souviens.

    Sur une route de Charente, quelque part aux alentours de la Chapelle des Pots, par une belle journée d’automne. Mon grand-père gare sa voiture sur le bas-côté de la route, le long du fossé.

    On sort les paniers en osier du coffre et on s’enfonce dans le sous-bois. Il y a ma mère et  mon frère. « On va aux champignons ? », c’était son expression, une question ressemblant à un ordre. Les jours de pluie, la question variait de peu : « On va aux escargots ? »

    Bon gré, mal gré, encouragés par ma mère « Allez, ça lui fait plaisir … », mon frère et moi montions dans la voiture, n’osant lui refuser le plaisir de nous montrer la beauté de la nature. J’étais rarement enthousiaste, je me sentais cruche, ne sachant pas distinguer les bons champignons des mauvais. Je crois aussi que ma réticence venait du fait que les bois, sombres et touffus, peuplés de bêtes imaginaires ou réelles, me foutaient la trouille. J’imaginais quelque dangereux psychopathe, tapi derrière un arbre, prêt à bondir, ou une main en décomposition dépassant d’un tapis de feuilles. Le moindre craquement d’une branche me faisait tressaillir et je ne m’éloignais jamais de la rassurante présence humaine, guidée par le sifflotement serein de mon grand-père.  

    Pourtant j’aimais la délicatesse des champignons, si fragiles sous le pied du promeneur. Je caressais du bout du doigt le velouté de leur chapeau et effleurais le joli plissé des lamelles. J’admirais la blancheur de vesses de loup perlées, dont je m’amusais à presser la chair molle pour en laisser échapper une petite fumée, et de coprins chevelus qui m’évoquaient une joyeuse bande de hippies.

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    Quand au détour d’un arbre, l’œil connaisseur de mon grand-père découvrait une colonie de quelque espèce savoureuse, cèpes ou girolles, il nous rameutait. Gare à celui qui arracherait le champignon et ses racines, en condamnant la repousse ! Il se ferait sérieusement sermonner, malheureux !   

    Le soir, après la corvée de nettoyage, mon grand-père accommodait notre cueillette en une savoureuse poêlée parsemée d’ail et de persil ou une omelette baveuse, que nous mangions en regardant les infos, ne pipant mot.

    La dernière fois que mon grand-père m’a emmenée dans un sous-bois, il y a plus de 10 ans, il était malade et je ne le savais pas. Il ne lui restait que quelque mois à vivre. Dans le sous-bois baigné d’un soleil printanier, nous avons cueilli des jonquilles qu’il voulait que je ramène à sa fille, restée à Paris. A un moment, alors que j’étais à quelques pas de lui, il s’est mis à m’appeler, d’une voix que je ne lui connaissais pas, angoissée, presque chevrotante. Je me suis demandée ce qu’il avait à paniquer ainsi ; j’avais dû disparaître de sa vue pendant un court instant, dissimulée par un arbre, sans doute.

    Sur le chemin du retour, dans le soir tombant, nul joyeux sifflotement ne vint troubler le silence. Je m'en fis la réflexion. Ce fut notre dernière après-midi ensemble dans les bois.        

     

  • Mon frère

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    Hier c’était l'anniversaire de mon petit frère. J'écris "petit frère" pour vous, mais je ne l'ai jamais appelé comme ça. Même avant qu'il me dépasse de plusieurs têtes.

    Le souvenir le plus lointain que j’ai de lui, c’est à l’école primaire d'une petite ville de Beauce où, à chaque récréation, je me précipitais au grillage qui séparaient les primaires des maternelles pour le retrouver. L’école était une torture pour lui, il pleurait tout le temps et courait vers moi, les yeux gonflés de larmes. Ca me fendait le cœur de ne pas pouvoir le serrer dans mes bras. En dehors de ça, à cette époque, mon petit frère m’intéressait peu, bien trop occupée que j’étais à jouer au docteur avec les 3 fils du voisin.

    Quand nous sommes partis en Allemagne, j’avais 7 ans. Nous avions des chambres communicantes, la bonne aubaine ! Chaque soir, dès la lumière éteinte, on s'appelait sur les talkie-walkie qu’ils avaient eu la bonne idée de nous offrir à Noël et on foutait le dawa jusqu’à ce que mon père débarque. On détalait alors dans nos lits en glapissant "pitié, papa, pitié" et on recommençait dès qu’il avait tourné le dos. On n’avait pas honte, tiens ... 

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    Peut-être que ma place d’aînée explique que j’ai toujours pris la défense des plus faibles. Je n’ai jamais supporté l’injustice, ça remonte à l’enfance. Nous étions tellement différents que dans la famille, chacun avait ses préférences pour l’un ou l’autre et nous en étions parfaitement conscient. Comme on ne comprend pas toujours les paroles des adultes, on se fie à notre instinct, comme de jeunes animaux. Lui était aussi turbulent et bruyant que j'étais calme et silencieuse. Je me souviens d’une fois où mon grand-père chtimi m’avait donné des bonbons devant mon frère. « Tiens, Sophie, c’est pour toi », avait-il dit. Quand j’avais demandé « Et S. ? », il n’avait pas répondu alors, révoltée, j’avais tout partagé avec mon frère, devant lui, comme pour lui donner une leçon.  

    Un des jeux préférés de mon frère était de me pousser à bout. Je restais imperturbable, espérant qu’il se fatigue tout seul et retourne jouer avec ses Playmobil. On passait notre temps à se chamailler mais on était toujours complices pour faire des conneries, en général à mon initiative.

    Bien sûr j'ai pris mon rôle d'aînée très à coeur et ai participé à son éducation. Plus tard, j’ai « crapauté » avec lui mes premières cigarettes, des Royale menthol piquées à la grand-mère. C’est ma petite sœur de 4 ans qui nous a balancés, bien involontairement, la pauvre. Arrivés à Paris, j’avais 14 ans, je l’ai emmené au cinéma découvrir le petit génie de Mineapolis dans "Purple Rain".  Pour parfaire son éducation en même temps que la mienne, je lui ai aussi fait découvrir la richesse des programmes de Canal +, un certain premier samedi du mois où des soubrettes se faisaient malmener, en long en large et en travers, dans un hôtel. Le film qui s'appelait « Dodo » nous a laissés, à tous les deux, un souvenir ému. Ca m’a valu quelques baffes parce qu’on avait oublié d’éteindre le décodeur et que ce couillon est tombé dans le panneau comme un débutant quand mes parents l’ont questionné.

    Nos rapports ont vraiment changé quand je suis entrée au lycée. J’ai commencé à avoir des copains blacks qui me faisaient écouter du rap et de la funk. De retour à la maison, je lui apprenais à faire des défis et à chaque fois que je pouvais, je l’emmenais en soirée avec moi. Il était super fier que mes copains lui prêtent de l’attention. C’est à ce moment là qu’il a commencé à m’appeler Fiso. Aujourd’hui il dit que la plus grande partie de sa culture musicale vient de moi. Je ne me suis jamais vraiment rendue compte à quel point je l’avais influencé, jusqu’à ce qu’il me le dise, par petites touches, comme récemment, quand ma petite sœur et lui ont parlé de la façon dont ils me voyaient, plus jeunes. Ca m’a beaucoup touchée de voir de la fierté dans leurs yeux, pour moi qui me sentais si quelconque à l’époque.  

    Plus tard, quand je suis partie vivre en Irlande, il est venu plusieurs fois me voir, seul ou avec ses copains, toujours fier de présenter « sa grande sœur Fiso ». Ils m’appellent tous comme ça, d’ailleurs, et ça fait d’eux aussi mes petits frères. Il y a presque 5 ans, on est partis en vacances au Venezuela ensemble. J’étais en pleine séparation et ces 3 semaines ensemble nous ont fait retrouver notre complicité d’antan. J’ai pris l’habitude de débarquer chez lui le dimanche avec un poulet rôti.

    Quand 6 mois plus tard, il est venu habiter « juste 15 jours » chez moi, le temps de trouver un appart’, j’ai retrouvé une raison de rentrer à la maison le soir, moi qui ne le faisait plus que quand j’étais assez fatiguée pour m’écrouler dans mon lit et ne plus réfléchir. J’ai retrouvé le plaisir de manger et cuisiner, on s’est même fait de sacrés gueuletons.  

    Ca fait 3 ans maintenant qu’ on vit en coloc. Ma plus grande fierté, c'est son attitude envers les femmes. Faut croire que nous, les 3 femmes de la maison, on lui a laissé assez de place et lui en a montré une image assez bonne pour qu'il n'en aie pas peur et les respecte, aujourd'hui. Avec ses potes, c'est un ami fidèle et loyal. Y'a pas beaucoup de gens, hommes ou femmes, qui ne l'aiment pas. Jeté trop tôt, injustement, du système scolaire, il s'est cultivé seul et a galéré d'apprentissage en CDD avant de se stabiliser, enfin. 

    Il dit souvent à ses potes que si je n’avais pas été là, il y a 3 ans, il aurait pu finir à la rue. Il ignore à quel point je lui suis reconnaissante, moi aussi, de n’avoir rien dit, rien demandé, juste posé une tasse de café devant moi quand j’émergeais les yeux rougis d’avoir trop pleuré. Comme ce jour là, sur la plage, il m’a aidée à me relever, mon petit frère.

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    La seule fois où j'ai croisé une soeur comme moi avec un frère comme le mien, c'était Léna, chez Giao. Parfois, on nous charrie, surtout ses potes : « Hé, vous allez pas vivre toute votre vie ensemble, quand même ? ». Bien sûr que non. On sait bien, d’ailleurs, qu’on a repris assez de forces maintenant, lui financièrement et moi moralement, pour continuer seuls. Mais personne ne nous fera rougir de s’aimer comme on s’aime. On sait ce qu’on se doit, tous les 2.

  • M'sieu Shik-Chic

    Un jour de septembre 91, à Dallas (ton univers impitoya-a-bleuh ! ), je suis en formation avec plusieurs autres personnes bossant à l’aéroport. Parmi elles, un seul homme, jovial. Il se plaint des petits-déj texans à base de sodas et céréales trafiquées et me prend à partie. Il avait dû repérer la gourmande. « Qu’est ce que je ne donnerais pas pour un croissant de ma boulangerie ! » Je réponds un truc comme « Oui, moi aussi. J’en ai une super au coin de ma rue. » C’est là qu’on découvre qu’il fréquente MA boulangerie et habite à 2 rues de chez moi, dans le 14ème.

    On ne s’est plus quittés de tout le séjour. Le soir, entre 2 codes aéroports à apprendre par cœur, on se faisait le répertoire de chansons françaises années 70 en buvant des Bud. Et pendant les cours, on se relayait pour prendre des notes.

    Au retour à Paris, de fil en aiguille, on s’est d’abord retrouvés l’un chez l’autre. Un dimanche matin, je l’ai même appelé, en larmes après un chagrin d’amour et j’ai chialé comme un veau dans le bol de chocolat qu’il m’avait préparé. Du coup, en toute amitié, on a pris un appart’ en coloc à Asnières pendant 6 mois jusqu’au jour où j’ai décidé de partir en Irlande pour notre employeur. Il n’a pas mis longtemps à débarquer et on a refait une coloc’ de 6 mois, dans la même chambre cette fois. Moi aussi, je l’ai consolé parfois. Le nombre de bonnes bouffes qu’on s’est fait, tous les 2 !

    J’ai rencontré ses parents, ses frères, puis ses cousines. Ben oui, c’est grand une famille vietnamo-indienne … Et puis après, la vie a suivi son cours. Il a été là pour les moments les plus importants, les nouvelles amours, les séparations. Discret mais toujours présent, attentionné. Le genre d’ami qu’on peut appeler à n’importe quelle heure. Quand je suis rentrée en France, il ne m’a pas suivi. Pourtant, à chaque fois qu’il revient, je l’entraîne dans de supers restos en espérant le retenir. Sa famille, je l’adore aussi, et sa mère, ses cousines, je les vois ici. La dernière fois qu’il est venu, on a passé la soirée à danser comme des gosses.

    Il m’a toujours dit que son prénom signifiait «  Serviteur du prince ». Une boutade à laquelle j’ai toujours cru, pour le désigner, lui le petit dernier, après ses frères Halim (prince) et Malik (roi). Mais je viens de m’apercevoir qu’il s’était trompé.

    « Qui a le cœur pur et droit »voilà la signification de son prénom si doux.

    C’est tellement lui !

    C’est son anniversaire aujourd’hui. Il n’a pas le temps de lire ce blog. Je l’appellerai ce soir en rentrant de la Comète. J’espère qu’il fêtera cette année de plus entouré de tout l’amour qu’il mérite et qu’il boira un coup à notre amitié de 17 ans.

    Et maintenant, comme dirait Nicolas, ça s’arrose !

  • Picalilli

    Du plus loin que je me souvienne, le samedi midi, ma mère n’a jamais eu besoin de s’interroger sur le plat du jour. Si pour certains, « le lundi c’est ravioli », pour moi, jusqu’à ce que je vole de mes propres ailes, ce fut « le samedi, c’est steak frites ». Les frites, la chasse gardée de mon père, du choix des patates au produit fini, la marque de fabrique de ce gars du Ch’ Nord, en dehors de son physique de viking. Peu-être inconsciemment, un lien générationnel avec ses ancêtres flamands, des forains qui tenaient justement des baraques à frites. Aujourd’hui encore, quand j’ai la chance de déjeuner avec eux un samedi, et que mon père demande innocemment « Qu’est ce qu’on mange ? », ses moustaches frisent de plaisir en m’entendant répondre « Ben ! Steak frites bien sûr ! ». Pas question de manger autre chose quand je suis là.

    Il faut dire que les frites de mon père, c’est un repas de fête, pour moi. Des frites dorées, moelleuses et grossières, taillées au couteau et assez épaisses pour sentir tout le goût de la patate, cuites à la Végétaline et abondamment saupoudrées de sel. A chaque fois qu’il pose négligemment le plat en pyrex au centre de la table, tout en guettant ma réaction du coin de l'oeil, je redeviens la fille de mon père. La petite fille blonde qui, devant des frites "étrangères" refusait (et refuse encore souvent) poliment mais fermement toute infidélité par un « Merci, mais je mange que les frites de mon père ». Aujourd' hui encore, mon visage s’éclaire à chaque fois d’un sourire enfantin. J’ai compté. J’ai dû commencer à manger les frites de Pap's vers l’âge de 6 ans et chaque semaine jusqu’à 22 ans. Sans compter les vacances d'été où faute de friteuse, notre régime était chamboulé, ça fait que j’ai connu ce moment de grâce au moins 700 fois (16 années x 45 semaines). Et je ne m’en suis jamais lassée.  

    Il est cependant un ingrédient particulier qui fait du steak frites de mon père un plat à nul autre pareil. Un bocal jaune orangé qui, s’il venait à manquer sur la table –ce qui fut rare - lui gâchait presque le goût de ses frites. C'est le Picalilli. 

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    Si vous n’êtes pas chti'mi, belge, hollandais ou anglais, vous écarquillez sûrement les yeux en vous demandant ce qu'est le Picalilli. Laissez-vous guider par le descriptif de la maison mère, Heinz :

    « Picalilli Extra met en avant vos sens : la couleur pour les yeux, l'onctuosité et le croquant des légumes pour le toucher, la saveur pour le palais ... et même le petit bruit lors de l'ouverture du couvercle.»

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    Pour ma part, j'ignorais, jusqu'à samedi dernier, que ce condiment eût un quelconque lien avec la région d'origine de mon père. D'après mes recherches, il est surtout consommé ailleurs avec des viandes froides ou tartiné sur les tranches de pain qui composent un sandwich. Je pensais que le Picalilli était une fantaisie de mon père car je n'ai jamais vu personne d'autre que lui en manger avec ses frites. Je n'ai même pas le souvenir de l'avoir vu à la table de mes grands-parents paternels, ni de ses frères et soeurs. Mais samedi dernier, lorsque mon Pap's posa son plat de frites et le fameux bocal jaune sous le nez de ma copine S., moitié chti elle aussi, celle-ci s'écria "Oh du Picalilli, mon père en mange aussi avec ses frites!". Je réalisai alors que Pap's, en quittant son Nord natal, avait emporté dans ses bagages, à travers tous les pays dans lesquels il avait vécu, un petit bocal jaune comme le soleil qu'il a dans le coeur. 

    [crédit photos : Pap's qui a bien voulu immortaliser son bocal]

  • Hommes, je vous aime

    Cette semaine commencée dans le trouble se termine dans la joie. Un peu à l’image de la carte « Joie-Tristesse », que j’ai tirée lundi dernier en arrivant à une soirée sur le développement personnel, et qui représentait une nuée de papillons multicolores qui quittent le gris et les pierres pour s’élever vers la lumière.

    Cette soirée abordait les archétypes qui concernent chacun de nous et dans lesquels, à moins d’en prendre conscience, nous sommes empêtrés.

    Vous savez, ces petites phrases avec lesquelles on grandit : « tu es ceci ou cela », celles qu’on se répète à soi-même « je suis trop ceci ou trop cela » ou qu’on s’invente, « les autres sont toujours ceci ou cela ». Ces phrases qui, à force de se dérouler dans notre tête, deviennent des vérités mais surtout des prisons.

    J’ai construit ma personnalité en opposition à ces phrases avec lesquelles j'ai grandi et je me suis appliqué à devenir, sur de nombreux points, l’exacte opposé de l’image qu'on m'a donné de moi-même. Je me revois, les dents serrées, la rage dans la tête : « Non je suis pas comme ça ». Ceci pourrait faire l’objet d’un billet à lui seul et ce n’est pas le moment ; j’y reviendrai.

    Au cours de cette soirée, je regardai ma carte sans comprendre pourquoi j’avais choisi celle-là et surtout ce qu’elle signifiait. La jeune femme qui me l’avait présentée m’avait dit rapidement que dans une relation, je cherchais avant tout la joie, mais il me semble que c’est le cas de tout le monde, donc je restai sur ma faim. Pendant ce temps, l’intervenant abordait des schémas qui me parlaient beaucoup plus que ma jolie carte colorée : la reconnaissance, l’abandon, la liberté.

    A la fin de la soirée, je m’approche d’une table sur laquelle sont vendus des livres. Une femme m’encourage à poser des questions. Je me lance et lui montre ma carte en demandant « Pourquoi celle-là ? ».

    Elle demande ce qui me parle le plus : joie ou tristesse ? La joie, bien sûr !

    A ce moment, elle me dit qu’en plongeant son regard dans mes yeux, elle voit des papillons, comme ceux de la carte, que mes yeux pétillent et que je suis pleine de vie. Et même que cette intensité lui donne la chair de poule.

    Au lieu de me faire plaisir, ce compliment me plombe de tristesse. On me parle beaucoup, trop à mon goût, de mes yeux en ce moment. Mon expressivité dérange parfois, on m’a même dit qu’elle faisait peur. Elle me dérange aussi parce qu’elle trahit des sentiments que je voudrais cacher. Pas l’amour ou le désir parce que ça ne me dérange aucunement de les exprimer comme ça, mais la colère, la tristesse ou la haine.

    La joie, oui, j’ai bien compris, je suis quelqu’un de joyeux, mais la tristesse ? Pourquoi ? Elle me répond « Vous connaissez l’histoire du clown triste ? » Là, mon sourire se fige. Touché.

    C’est drôle comme certains mots reviennent régulièrement. Je repense aux conversations récentes que j’ai eues avec des hommes qui me sont chers.

    MP m'a serrée dans ses bras, une étreinte forte, comme une étreinte d'hommes, et m'a donné un conseil. Pas celui que j’attendais, mais le même que ces mêmes amis m’ont glissé à demi-mot et que j’ai refusé d’écouter. Elle m'a invitée à libérer la part de moi-même que je n'ai jamais acceptée, au point de la laisser pétiner. Dans le métro, au retour, j’ai une boule dans la gorge mais je sens que quelque chose s'est débloqué. Peut-être que j'avais besoin que ce conseil vienne d'une femme qui ne sait rien de mon histoire ?

    Je la sens mal  commencée, cette semaine, mais elle se déroule, sereine, peuplée d’hommes pleins de tendresse et de sollicitude. Aucun qui soit mon amant et pourtant tous bienveillants et attentionnés, comme s’ils sentaient que j’ai besoin de cette chaleur et de leur amitié. Prête pour une montée en puissance de moi-même.

    Mardi, je rentre frigorifiée et un rendez-vous annulé me donne l’occasion de profiter du délicieux pot-au-feu que mon frère a préparé et qu’il me sert, devant la télé.

    Mercredi, je pédale jusqu’à la Comète où le vieux Jacques m’offre une rose et une orchidée. Puis je rejoins Paris Carnet et là, c’est Giao, le moral pourtant en berne, qui m’offre une rose. Quel gentleman celui-là ! En rentrant à la maison ce soir-là, je découvre un paquet à mon intention. Un mot griffonné pour « l’amoureuse de l’eau et adepte des doigts de pied en éventail » et un beau livre sur le rêve et l’eau. En le feuilletant avant de dormir, je m’interroge sur toutes ces marques d’affection que je reçois.

    J’ai souvent eu du mal à accepter des gestes d’amour, bien plus que d’en donner. Mais là, je savoure ce qu’on me donne, je le prends parce que j’en ai un énorme besoin, en ce moment.

    Si j’essayais d’être à l’écoute de moi-même et de baisser la garde, juste un peu, pour laisser l’autre rentrer dans mon périmètre ?